Le projet d'ICI transfigure le paysage chorégraphique

christian rizzo
© ICI—CCN_deniseoliverfierro

Je est un autre : nommer pour assimiler 

Entre les épais murs de l'ancien couvent des Ursulines, flotte un néon rouge dont les trois lettres forment l'acronyme ICI. C'est ce terme court, presque lapidaire mais éloquent, que porte désormais le Centre Chorégraphique de Montpellier où Christian Rizzo assure la direction depuis 2015. 

ICI, comme point de départ d'une histoire nouvelle, au-delà des frontières, pour l'Institut Chorégraphique International. ICI, comme proximité immédiate dans le temps et l'espace. Trois lettres, au-dessus de l'escalier qui file au studio Bagouet, matérialisent l'éphémère, impriment l'impossible conscience du passage dans un lieu donné. ICI, donc. Ce nom forme l'empreinte de Christian Rizzo, de ceux qui passent au CCN, mobilisant l'art à tous les endroits possibles, par un élan didactique et assuré. Une transfiguration, après les 20 années de Mathilde Monnier à la tête du CCN.  

Fraîchement baptisée, l'institution a progressivement épousé les contours d'une nouvelle identité chorégraphique articulée en coulisse par le directeur d'ICI qui a pris l'habitude de nommer les choses, avec cette volonté de les désigner pour mieux les partager. Cette nouvelle signalétique, jalonne le parcours du spectateur vers la mise en partage et la transmission du travail chorégraphique de Christian Rizzo. Depuis 2015, ICI s'articule autour d'une logique repensée, immersive, invitant chacun à l'élaboration d'une réflexion collective. À tous les étages de l'édifice, le propos artistique prédomine et se partage.    
 

Se retrouver : sceller création et médiation   

Un état d'art total, envisageant l'immersion comme médiation, que Christian Rizzo a explicité par : "L'envie de transmettre la connaissance acquise au fil des années de pratique". À l'écriture du projet d'ICI, le chorégraphe imagine un territoire aux frontières floues où les pratiques qui s'y posent lui permettent d'exister. Il remarque le vaste espace disponible, mais une porte minuscule pour y entrer. Le désir de faire venir le public, de la même façon que sont invités les artistes, s'est alors imposé avec la vive volonté d'évoluer ensemble dans l'espace chorégraphique.  

En ces termes, le projet du CCN se traduit par la vive implication du spectateur, au cœur d'une émulation dont il devient partie prenante. L'avènement de nouveaux angles chorégraphiques, visant à faire éclater toute caste générationnelle ou esthétique, s'émaille notamment de l'arrivée d'un artiste associé et de nouveaux programmes de résidences. Sa réflexion émerge, désormais, non seulement au plateau, mais aussi dans la toute nouvelle salle d'exposition du CCN – "la chambre d’écho" – pensée comme une extension de la scène.  

Dans le prolongement de ce développement, au-delà des canons de la médiation culturelle comme leçon de chose, la création de l’atelier En Commun ou du Club de Danse, ouvert mensuellement à tous et dispensé par un chorégraphe programmé dans la saison, incite les amateurs, tous niveaux confondus, à l'engagement intellectuel et physique. La circulation et les flux générés dans l'enceinte d'ICI dépasse aujourd'hui son enceinte puisque le CCN étend ses activités hors les murs en scellant des partenariats jusque sur les rives méditerranéennes voisines.

     

S'implanter dans le territoire : ressources et complicités autour de la Méditerranée  

L'ambition portée par ICI embrasse aujourd'hui une multiplication des collaborations de part et d'autre du territoire régional. Elle tisse un maillage tenu impliquant des structures telles que le CROUS, l'École des Beaux-Arts ou le Centre régional d'art contemporain de Sète. La transmission assurée par le master exerce (unique en France), maintenant accessible chaque année, se double de l'ouverture de plusieurs semaines de cours aux danseurs de la région. À l'échelle internationale, les artistes participent à des résidences croisées, comme l'illustre la récente collaboration avec Casablanca ou le partenariat fructueux en cours avec le réseau européen Life Long Burning.  

Dès lors, ICI tend à influer comme matrice d'un espace ramifié, d'où affleurent transmission et diffusion d'une volonté artistique. Pour Christian Rizzo, qui n'aime pas les lieux "hors sol", la gageure consiste à ce que le CCN génère un lien immuable entre artistes et public, afin d'être en prise avec le territoire sur lequel il est implanté.

Cette décision a engendré un double mouvement. D'une part, de rayonnement, dans l'écoute et la confiance accordée aux chorégraphes émergents, invités en résidences et dans la saison. D'autre part, dans la recherche de nouvelles formes artistiques, partout où celles-ci peuvent éclore et être montrées. La prise de risque et l'expérimentation de formes nouvelles infusent dans la programmation de la saison, en invitant des artistes émergents, aux résonances singulières. Agissant comme véritable accélérateur de particules, ICI reçoit les voix qui s'élèvent au-dessus de la mêlée et explorent de nouvelles formes de recherche dans l'espace chorégraphique. Poisson-pilote aventureux, ICI parachève  son investigation esthétique avec les Par/ICI:, cartes blanches qui permettent de découvrir à 360 degrés l'univers de chorégraphes accueillis en résidence.

Entre les murs d'ICI, l'écriture du présent s'abreuve d'un vaste ensemble découlant des ponts jetés vers l'autre. Elle forme aussi perspective d'une mémoire nichée dans l'avènement des champs chorégraphiques de demain. 
 

Géraldine Pigault, juin 2017